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Mobilités et modes de travail hybride

Au carrefour des nouvelles organisations spatio-temporelles des salariés, les employeurs appelés à élargir leur champ d’accompagnement des collaborateurs.

19 juillet 2023

Auparavant perçue comme une considération strictement personnelle, un à-côté périphérique à l’emploi, la mobilité se transforme et change aujourd’hui de statut. Elle devient une composante à part entière du travail et prend une place prépondérante dans les conditions d’exercice de celui-ci : d’une part en s’inscrivant dans la routine des entreprises, le travail hybride a brisé les unités de temps, de lieux et d’espaces et bouleversé les rythmes pendulaires ; d’autre part, les effets conjugués du contexte inflationniste et du changement climatique ont modifié le rapport aux déplacements du quotidien. Une dynamique plurielle qui impacte la mobilité des salariés, et invite les employeurs à s’emparer du sujet.

Retour sur les enseignements de notre dernière enquête barométrique conduite en mai 2023 par le Collectif Mobilité auprès de 3 688 Franciliens dont 2 541 actifs.

Chez les salariés, équipements personnels et modes de déplacements professionnels apparaissent fortement liés et traduisent des contraintes de mobilité pendulaire

Equipements mobilité : Des salariés qui mettent la pédale douce sur les mobilités lourdes ?

En matière d’équipement, voiture et vélo font presque jeu égal et se disputent la première place au sein des ménages : 65% des salariés disposent d’au moins une voiture au sein du ménage, tandis que 64% disposent d’au moins un vélo non électrique. De plus, 18% des salariés disposent d’au moins un VAE[1], équipement qui complète le podium et assoit la place du vélo au sein des foyers. Un tableau des équipements contrasté entre haut niveau de possession de la voiture, - caractéristique d’une mobilité lourde et traditionnellement très ancrée, et forte pénétration du vélo - fer de lance d’une mobilité plus douce[2]. Un changement de paradigme dans le rapport aux mobilités ? Peut-être. Mais il serait pourtant précipité de conclure au sacre de la petite reine[3]! Tout d’abord la nature, et les usages et  distances respectivement associés à la voiture et au vélo ne sont pas équivalents. Ensuite, ce serait oublier la multi possession : détenteurs de vélos et de voitures peuvent pour partie être les mêmes. Enfin, il ne faudrait pas faire abstraction de l’important niveau de motorisation des ménages en général, si l’on considère les 11% de salariés qui disposent d’au moins un deux-roues. Quoi qu’il en soit, motorisés ou non, il est vrai que les salariés se tournent vers des équipements qui se veulent plus propres. En témoigne les 10% de salariés équipés d’au moins une trottinette, et les 3% dotés d’une voiture 100% électrique. En somme, les salariés font place à de nouveaux équipements moins carbonés, sans totalement lever le pied sur la voiture qui répond à des contraintes structurelles de déplacements.

Pour leurs trajets professionnels, les salariés franciliens se déplacent comme ils s’équipent !

Au premier rang des contraintes de déplacements justement, il y a les trajets professionnels. Et de ce point de vue, équipements mobilité et modes de transports utilisés se lisent effectivement en miroir, ce qui accrédite une certaine logique utilitaire : les trajets professionnels font partie des usages premiers des équipements mobilité des salariés qui les choisissent donc en conséquence. On peut ainsi dessiner une correspondance entre mode de déplacement domicile-travail et possession ou non d’équipement personnel. Pour preuve, en tête des modes utilisés pour se rendre au travail, on trouve les transports collectifs, empruntés par 50% des salariés. Une configuration qui représente même 65% des usagers parmi les non motorisés, qui faute d’équipement personnel pour parcourir une certaine distance, sont susceptibles de privilégier les modes partagés. En deuxième position, arrivent les modes motorisés (voiture et deux-roues) utilisés par 26% des salariés, dont 24% rien que pour la voiture. Or 93% des usagers des modes motorisés pour se rendre au travail possèdent au moins une voiture. Ceci tend non seulement à montrer la prééminence de la voiture au sein des modes motorisés, mais aussi à confirmer le lien ténu entre possession et utilisation de l’équipement à des fins professionnelles. Une tendance qui se vérifie enfin pour les mobilités actives (mobilités douces hors marche), qui arrivent en 3ème place : 17% des salariés les utilisent pour se rendre au travail, et 76% des usagers des modes actifs pour se rendre au travail possèdent au moins un vélo. Du reste, la correspondance équipement/modes de transports s’applique aussi aux déplacements professionnels de courte distance (à moins de 100 km du domicile). Ceux-ci concernent plus de 8 salariés sur 10, et jettent au passage les traits d’une organisation hybride, en induisant une plus grande diversité de lieux et de rythmes de travail.

Dans les entreprises, le travail hybride a trouvé son rythme de croisière et ses lieux d’étape, posant de nouveaux défis à la mobilité des salariés

Les entreprises consacrent un modèle hybride : 3 jours de présence, et le vendredi toujours à distance !

Le constat est sans appel : l’adoption du télétravail n’est désormais plus un sujet dans les entreprises franciliennes ! 6 salariés sur 10 y ont accès. Et du côté des salariés, l’appétit pour le travail hybride ne se dément pas non plus : 53% le pratiquent - soit presque autant que ceux qui en ont la possibilité. Un niveau stable depuis le sortir du Covid qui suggère que les entreprises ont largement opéré leur transition vers un modèle hybride. Un modèle de référence commence justement à se dégager. Prenons le rythme de télétravail. Le plus plébiscité par les salariés ? 2 jours par semaine ! Un cas de figure qui concerne 38% des salariés hybrides, dans un contexte où le rythme de 1 à 3 jours de télétravail concentre 78% des télétravailleurs. Cette réalité n’efface toutefois pas quelques contrastes liés à la taille d’entreprise, avec des profils très hybrides (plus de 3 jours de télétravail par semaine) d’autant plus présents que la taille de l’entreprise est importante. Ce, jusqu’à représenter 28% des télétravailleurs dans les grandes entreprises, tandis que 82% des télétravailleurs dans les PME/PMI ont un rythme inférieur à 3 jours par semaine. Outre, le rythme, il y aussi l’articulation des jours. Sans surprise, les mardis et jeudis demeurent des jours de forte affluence au bureau, tandis qu’1/3 des salariés hybrides télétravaillent les lundis et mercredis, et 54% le vendredi (ils sont même 61% dans les grandes entreprises). De nouveau, les grandes entreprises se démarquent par la mise en œuvre d’un modèle plus hybride qui espace la présence des salariés au bureau.

Les environnements de travail prennent de nouveaux virages…et arrivent sur de nouveaux rivages.

D’une manière générale, cette gestion des modèles hybrides pose de nombreux enjeux aux employeurs. A commencer par le volet immobilier, affecté au premier chef par une démultiplication des lieux de travail. Car si 87% des salariés continuent de se rendre chaque semaine au bureau, plus de la moitié ont fait de leur domicile une base arrière de travail hebdomadaire. Au domicile s’ajoutent en outre, des lieux de travail intermédiaires extérieurs à l’entreprise, comme les locaux d’un client ou les complexes évènementiels, depuis lesquels 14% des salariés travaillent chaque semaine. Une apparition de nouveaux satellites dans la galaxie des lieux de travail, qui fait écho aux déplacements professionnels déjà évoqués.
Par ailleurs, ces lieux de travail formels et bien identifiés se complètent désormais d’une constellation de lieux de séjours ponctuels. Fréquentés par les salariés pour motif personnel, ces lieux deviennent par le jeu des circonstances – s’adapter à un calendrier familial, bénéficier de tarifs avantageux, etc.- des lieux de travail éphémères. Certes le phénomène n’est pas nouveau, mais il se confirme en tout cas pour 52% des travailleurs hybrides. Dès lors plus dispersé, le panorama des lieux de travail n’est pas sans conséquence sur la mobilité des salariés. Il amène en effet à prendre en compte un deuxième enjeu majeur : la gestion d’une plus grande fragmentation des déplacements d’ordinaire associés au travail.

Entre organisation du travail et des déplacements, les salariés revendiquent le mode hybride et demandent à leur employeur de mettre un véritable coup d’accélérateur !
Les nouveaux visages d’une mobilité des salariés sous contrainte, entre des mobilités et dé-mobilité

Déjà mise au défi du travail hybride, la mobilité des salariés subit dans le même temps, les assauts de l’inflation. Des bouleversements de nature à inciter les salariés à modifier leur routine mobilité ? Pas vraiment. 76% d’entre eux n’ont pas changé leurs habitudes de transports domicile-travail pour des raisons financières. Une inertie qui réactive l’idée de contraintes fortes pesant sur les déplacements. D’ailleurs, cette absence de changement d’habitudes se fait encore plus marquée pour les usagers des transports collectifs. Quant à la frange des salariés qui ont effectivement modifié leurs habitudes, leur stratégie a consisté à se déplacer moins loin (4%) ; moins souvent (5%) - plus encore pour les personnes motorisées et les télétravailleurs - mais principalement à changer de mode de transport (10%). Or, si ces changements ont globalement profité aux modes de transports collectifs et aux mobilités actives, les salariés n’ont pas opéré de transformation radicale, mais plutôt privilégié de légers ajustements par rapport à leur routine. Ainsi les usagers des mobilités actives se sont davantage tournés vers le vélo (renouvellement d’équipement, passage de la trottinette au vélo par exemple), alors que les utilisateurs des transports en commun ont surtout remplacé un mode collectif par un autre. Une stratégie d’optimisation des trajets qui nourrit un paradoxe : à l’heure du travail à distance, les contraintes persistantes sur les déplacements des salariés poussent ces derniers à opter soit pour une dé-mobilité, soit pour une adaptation marginale de leur mobilité.

Les employeurs, nouveaux moteurs d’une mobilité plus verte et durable de leurs salariés

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les salariés confèrent à leur employeur un rôle accru en matière d’accompagnement. Et outre la question financière, la problématique environnementale n’est pas en reste ! 81% des salariés pensent qu’il est du rôle de l’employeur de proposer des solutions de mobilités alternatives à la voiture. Un consensus massif qui étend la responsabilité employeur au-delà de la seule prise en charge des frais de mobilité historiquement associée à son rôle[4], et pourrait bien faire la différence. A l’image de la flotte de fonction des entreprises. En effet, si celle-ci ne concerne que 11% des répondants, on remarque que les salariés possédant un véhicule électrique disposent souvent d’un véhicule de fonction électrique. Une corrélation entre véhicule de fonction et équipement personnel qui dénote le rôle incitatif de l’employeur. Pour autant lorsqu’on interroge les salariés, la première des solutions préconisées pour favoriser une mobilité durable, consiste précisément à ne pas (ou moins) se déplacer. En témoigne la forte appétence des salariés pour le télétravail : 32% d'entre eux souhaitent y avoir accès au domicile et 18% dans des tiers-lieux, ce qui affirme une tendance à la dé-mobilité. Ensuite, il y a la prise en charge de frais de mobilité alternative à la voiture[5], attendue par 43% des salariés (plus encore hors Paris intramuros). Enfin, 34% souhaitent accéder à du stationnement vélo (plus encore à Paris, en Petite couronne et parmi les utilisateurs des mobilités actives pour se rendre au travail).
Une disposition qui rejoint le large panel de leviers identifiés par les salariés  pour verdir leur mobilité, de l’organisation du travail, à l’accompagnement financier, en passant par une mobilité partagée. Et si ces leviers se trouvent principalement du côté des employeurs, pour certains salariés, les pouvoirs publics ont aussi un rôle à jouer, avec l’aménagement urbain et le maillage du réseau de transports. De quoi faire de l’organisation spatio-temporelle du travail, un vecteur de transformation des bureaux et de la ville elle-même.

[1] VAE : Vélo à Assistance Electrique.

[2] Mobilité douce : Ensemble de moyens de locomotion à faibles émissions de CO2 et/ou empruntés de façon à limiter l’empreinte de son déplacement sur l’environnement : vélo, marche, trottinette, covoiturage, etc.

[3] Petite reine : Expression communément utilisée pour désigner le vélo.

[4] Article L3261-2 du Code du travail : « L'employeur prend en charge, dans une proportion et des conditions déterminées par voie réglementaire, le prix des titres d'abonnements souscrits par ses salariés pour leurs déplacements entre leur résidence habituelle et leur lieu de travail accomplis au moyen de transports publics de personnes ou de services publics de location de vélos. » Le montant minium de cette prise en charge est de 50% des frais engagés par les salariés.

[5] A titre d’exemple, on peut citer le Forfait Mobilités Durables. Pour promouvoir les mobilités douces, les employeurs ont la possibilité depuis 2020, de prendre en charge sous la forme d’une allocation forfaitaire de 700 € par an maximum (plafond 2022 et 2023), les frais de trajets réalisés à vélo, en covoiturage, transports publics -hors abonnements déjà couverts par l’obligation de prise en charge employeur susmentionnée.


Source des données

Etude tendances mobilités Ile-de-France / Baromètre printemps-été 2023:
Enquête en ligne réalisée en mai 2023 auprès de 3 688 Franciliens, dont 2 541 actifs en activité, et coordonnée par le Collectif mobilité qui compte une trentaine de membres, acteurs de la mobilité, de la ville et de l’immobilier, dont JLL.

Au titre de ce Collectif, neuf études barométriques ont déjà été conduites depuis 2020.

Pour aller plus loin

Publication du collectif mobilité Ile-de-France :

Publications JLL :

Contact Diana Nait-Belkacem

Consultante Senior Recherche et Prospective Work Dynamics